Le phénomène de la violence familiale à l’égard des enfants est une problématique enracinée et persistante en Tunisie, nécessitant une approche globale pour être efficacement traitée. Selon la sociologue, Latifa Tajouri, il est essentiel d’adopter une vision qui ne se limite pas à un seul aspect – qu’il soit psychologique, social, pédagogique ou politique – mais qui englobe tous ces domaines, a indiqué lors d’un entretien avec Tunibusiness.
Une problématique complexe nécessitant une approche multisectorielle
Latifa Tajouri insiste sur l’importance de discuter du sujet de la violence contre les enfants dans les écoles, les jardins d’enfants, les kuttabs et les mosquées, et dans tous les espaces ayant une relation avec la famille, y compris les médias et les plateformes numériques.
Ces derniers sont aussi des lieux où les enfants peuvent être confrontés à la violence, voire reproduire des comportements violents, même sans en avoir été directement victimes dans leur propre foyer.
Elle souligne que, bien que l’environnement familial soit souvent pointé du doigt comme la principale cause de la violence, il est essentiel de considérer la question sous un angle plus large.
« La violence contre l’enfant ne se limite pas uniquement à l’agression familiale. Les études sur ce phénomène doivent être intersectorielles et impliquer des spécialistes issus de différents domaines : juges, avocats, psychologues, sociologues, etc. Il n’est pas possible de comprendre pleinement ce phénomène en se basant uniquement sur un domaine d’expertise », explique-t-elle.
Le financement public : une responsabilité de l’État
Dans ce contexte, la question du financement public pour la protection de l’enfance et la lutte contre la violence prend toute son importance. Latifa Tajouri rappelle que la Constitution tunisienne impose à l’État la responsabilité de protéger les enfants et les familles, une responsabilité qui devrait se traduire concrètement par des moyens financiers appropriés et des budgets dédiés.
Elle critique également le statut actuel de la délégation à la protection de l’enfance, un organisme censé être au cœur de la lutte contre la violence infantile.
Selon elle, la structure actuelle est loin d’être indépendante, étant subordonnée à un ministère en particulier.
« Cela reflète une conception réductrice des politiques sociales, où la protection de l’enfance est considérée comme l’affaire exclusive du ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance.
La délégation à la protection de l’enfance devrait être une entité indépendante, disposant de son propre budget, pour pouvoir intervenir de manière adéquate et couvrir l’ensemble du territoire national », déclare-t-elle.
Un personnel insuffisant
Un autre point crucial soulevé par la sociologue est le manque de moyens humains et financiers pour couvrir la totalité des besoins en matière de protection de l’enfance.
Actuellement, un seul délégué à la protection de l’enfance est responsable d’une région, et chaque responsable doit gérer un nombre d’enfants allant de 120 000 à 200 000. Cette situation rend difficile la mise en œuvre d’une véritable protection.
De plus, l’absence de professionnels qualifiés dans de nombreuses régions renforce ce déficit d’efficacité. La mise en place d’une couverture adéquate nécessite donc des ressources humaines et financières plus importantes.
Vers un changement structurel pour une meilleure protection
Le changement social ne se produit que lorsque des personnes croient en leur capacité à vivre dans de meilleures conditions, estime Latifa Tajouri.
Selon elle, les moyens nécessaires à cette réforme existent : ils ne sont pas nécessairement coûteux, mais nécessitent avant tout une volonté politique et un engagement clair.
« La mise en place d’un financement suffisant et d’une structure indépendante pour la protection de l’enfance pourrait être réalisée en réorientant une partie du budget de l’État, car les bénéfices sociaux à long terme sont considérables », conclut-elle.